Economie des dissimulations

 

Zahah hadid connait actuellement une forme de consécration internationale. Nombreux de ses projets vont se réaliser ou viennent d’ouvrir au public. Cet avènement médiatique contraste avec ses vingt dernières années pendant lesquelles l’architecte irakienne a acquis une légitimité dans le cercle de la critique architecturale : son engagement intellectuel s’est cristallisé dans de nombreux concours internationaux tandis que l’aura de son œuvre augmentera par la radicalité de ses rares réalisations qui sont autant de fois de véritables manifestes de ses investissements théoriques.

Dans le réseau mondial où s’organisent les forces capitalistes, tout se forme et fonctionne de manière synchrone. Ce postulat de Deleuze et Guattari définit le fonctionnalisme pur. Ce régime de fonctionnement régente la progression du capitalisme qui s’accomplit souvent en rupture avec une idée de progrès. Ce type d’énoncé moral qui sert à valider des choix politique se trouve confronté dans la réalité à des dysfonctionnements des forces capitalistes dont les formes urbaines actuelles en sont les accomplissements très sensibles. Les territoires urbains se forment asymétriquement, entre intention collective et fonctionnement capitaliste.  Les forces politiques doivent adapter de nouvelles stratégies d’interversions en utilisant très souvent un discours performatif : les énoncés qui décrivent une action doivent dès leurs énonciations s’accomplir. Les promesses devront se tenir ; toute la finesse de la communication est bien de les délimiter pour les rendre facilement lisibles. Cette tendance discursive régénère la modernité, elle en est sa condition post-moderne : il s’agit de penser utile pour la mégapole et d’agir communicationnel. Pour les forces politiques, l’architecture trouve une utilité ; elle continue de remplir mais tend moins à les symboliser que de devenir un agent communicationnel majeur. Médiatiser son architecture amène une lisibilité forte sur la manière de s’inscrire  dans la modernité : elle affiche une plus-value d’échange encore plus importante par l’aura de son œuvre et sa consécration mondiale. Les forces politiques métamorphosent la valeur de cette architecture, qui d’une valeur d’usage fonctionnel se transforme en valeur d’échange communicationnel.

L’architecture de Zahah Hadid n’obéit plus aux lois de la géométrie euclidienne, elle n’est plus gouvernée par la perspective, formalisation mathématique d’un monde harmonieux régenté par l’homme. Elle élimine ses lignes de construction ; ses explorations spatiales sont subordonnées au régime discursif de la modernité de l’architecture. Les problématiques renouvellent et favorisent l’invention de nouveaux signifiants architecturaux. Son architecture rompt avec l’orthogonalité et radicalise les affects sensibles pour sortir d’une certaine amnésie des sens dans laquelle nous plombent bon nombre d’architectures ? Hadid revendique la nécessité de se situer à la pointe de la modernité, elle souligne l’importance d’une avant-garde capable d’électriser les habitudes de   pensées pour affronter la complexité contemporaine.

Parallèlement, Hadid dessine une nouvelle citoyenneté, celle d’une femme apatride dont la liberté s’accroche à son invention architecturale. Chaque capture politique de cette architecture est l’occasion d’une co-pénétration de deux flux différents : l’un majeur et collectif opérant dans le besoin et se réclamant d’une certaine forme d’utilité ; l’autre mineur, inventant une nouvelle forme de subjectivité proclamant une autre modernité d’usage par l’expérimentation de nouveaux affects sensibles. Lors de cette capture, les forces mineures se dissimulent derrière le pensée utile. Les théories de l’architecte perdent leurs lisibilités pendant cette récupération, les codes architecturaux inventés combleront un autre dessin que celui de l’architecte. Cette double action est une véritable vampirisation. La forme n’est jamais gratuite au cours de cette opération. Dans les énoncés de Hadid, l’architecture qui porte toujours la nécessité d’une signification pour rentrer dans une économie langagière se traite en signe qui renvoient sans cesse sur d’autres signes par l’emploi d’analogies ou de métaphores telle celle du paquebot de Lecorbusier. L’architecture se légitime très couramment avec cette économie du transfert infini. La vampirisation marque la transformation de l’utile : subordonnée à l’usage lors d l’expérience des espaces, ce concept retrouve son autonomie dans une politique de communication en apportant une plus-value d’échange augmentant l’efficacité d’un processus politique.

Il existe une région où la forme reste gratuite. La gratuité d’une architecture est sa part inéchangeable, ce qui n’entre pas dans une économie de signes. Cette singularité apparaît au moment de  sa formation. Pendant sa genèse, la raison qui impose une conception par le biais d’un discours sur la modernité ne peut en explique la formation.

Hadid accorde un soin particulier au sol, mais lorsqu’on examine ses projets, les effets spatiaux nous affectent de telle manière que le discours ne peut circonscrire l’élan spatial, sa force sensible, son exubérance ou sa vitalité. Les espaces s’organisent avec un semblant d’équilibre précaire, comme avec un maximum autorisé. L’articulation entre ces masses se réalise juste au moment où ces  forces s’annulent, où tout s’annule, où plus rien ne doit bouger sous peine de reconduire un effondrement. L’architecture s’extrait du chaos mais emble constamment y revenir. Ces espaces n’ont pas été muselés par une trame moderne ou classique : les trames de Palladio ont ressurgies dans certaines trames de Lecorbusier. On pourrait voir dans cette écriture architecturale et dans cette force de ré-agencer les codes architecturaux purs (plans, volumes, lignes), une liberté exceptionnelle à dépasser les contraintes et à sublimer les problématiques contemporaines. Cette obédience de l’écriture tend à subordonner la force de l’acte à son effet à minimiser la force sur une structure. Cette problématique rattache l’œuvre à un ensemble de significations qui renouvellent les énoncés sur la modernité sans toutefois en contredire son illusion et à la fois sa nécessité, le progrès.

La force de l’écriture indexe un agencement spatial irrésistible, elle déborde la signification et son écriture qui ne peut expliquer, ni sa vitalité, ni sa présence. Les formes de discours concevant le monde n’interfèrent pas avec les formes architecturales pendant leur formation. L’écriture ne réduit jamais une force si l’on considère l’écriture comme un acte formel de cette force. Dès lors les forces ne s’appliquent pas, elles se canalisent.

La force de Hadid occasionne un passage intensif d’affects dans lesquels nous étalonnons nos propres puissances aux forces architectoniques. Des signes tenseurs sont les premières traces communicables des affects à l’œuvre lors de la visite avec ces agencements spatiaux différents. Ces affects se diffusent dans le silence des corps. L’origine de l’organisation des corps s’accomplit dans l’inscription dans la chair pour inventer au corps une attribution. Cet acte primitif se prolongera en définissant les choses comme des corps étendus avec des formes organisationnelles projetées comme un ensemble de fonctions hiérarchisées : les peuples seront ds corps sociaux tandis que l’architecture deviendra un corps fonctionnel dont les lois organisationnelles se calquent sur les sciences biologiques. Mais en comparant nos puissances aux forces architectoniques, la volonté d’identité que réclame Hadid, n’opère plus dans la réception sensible du visiteur. Nous retrouvons un archaïsme sensationnel où des forces inorganiques nous font vibrer avec nos propres devenirs inhumains, c'est-à-dire cette part de l’homme qui ne se constitue pas encore comme un sujet dont l’identité espéré, le moi, en est le centre immobile. En se confrontant à une architecture de Hadid une expérience inhabituelle témoigne de la présence de cette part maudite toujours en devenir par le fait singulier que sont les forces qui se croisent entre nos chairs et nos cœurs et qui nous affectent et nous déplacent face aux altérités en deçà de la raison et de ses structures signifiantes. L’architecture de Hadid marque en l’occurrence l’évènement ponctuel de cette nature inhumaine, a-signifiante ; elle résonne avec nos propres investissements libidinaux qui parcourent le réel. Ce vaste agencement architecturé de forces virulentes qui tourbillonnent en emportant les masses et en électrisant les lignes fait voler les structures de la pensée pour révéler les mouvements de nos désirs, substantielle matière ne manquant de rien, inéchangeables puissances de nos devenirs. Hadid dans sa chair est traversée par ces investissements libidinaux (l’énergie du désir) mis en œuvre dans ses corps architectoniques. Les passages d’affects purs expérimentés sont ces propres investissements, ses propres devenirs, ses propres déplacements à la rencontre avec d’autres flux comme celui du sens. Son nom propre ne signifie plus une identité : son devenir inhumain ou shize déborde le discours résonné qu’elle construit pour se situé ans la modernité.

Mais les chizes invisibles se disloquent parce qu’il faut que tout rentre dans une économie, un négoce. Ces investissements libidinaux et ces histoires de corps, la figure humaine ne les tolère pas. Cette économie libidinale n’est pas totalement occultée par les formes discursives de cette femme : sa force que les signes tenseurs révèlent apporte de la consistance à des forces architectoniques insatiables et inorganisées qui se légitime à la fin de leur formation et dès le début de leur conception sur un plan théorique et dans la sphère politique en oubliant cette dimension primitive.

Les formes discursives demeurent des forces de dissimulation avant de constituer des forces de sédimentation d’un savoir. On peut mesurer les différences de régime entre les productions libidinales d’où surgira la radicalité de son écriture architecturale et les forces politiques contraintes au langage performatif dissimulant, au nom de l’agir communicationnel, toute forme de résistance. C’est l’heure de la métamorphose des corps ; tout ce qui passe par eux s’inscrit maintenant sur le corps social comme signifiants et traces communicables utiles à la mégapole dans l’ignorance des investissements libidinaux que la raison et ses structures de sens et d’organisations conjurent pour continuer d’échanger t veiller à ce que rien ne soit fondamentalement gratuit, c'est-à-dire poétique.